Les 4000 de Liv Sansoz

Mathieu Ros
7 min readMay 7, 2017

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Liv Sansoz est en route pour gravir les 82 sommets de 4000m des Alpes, avec son style à elle. J’ai discuté avec elle au téléphone de ses objectifs et de ses envies alors qu’elle s’était blessée la semaine précédente et me répondait de chez elle, en convalescence aux Houches.

(cette interview a été publiée le 2 mai sur le site widermag.com)

Liv et Marco Bernasocchi sur le Finsteraarhorn (4274m) ©Ben Tibbetts/Salomon

Une montagne humaine

Il y a plein d’éléments différents qui composent ce projet, c’est un peu un mélange qui rassemble plein de choses qui me sont chères. Mais je crois que si je devais résumer le tout ce serait par “une montagne humaine”. Je trouve que l’on parle de la montagne soit pour des exploits incroyables soit parce qu’il y a eu une tragédie, mais on ne montre jamais trop une montagne humaine.

Pourquoi les 4000m? J’ai eu l’occasion de faire quelque 4000m hors du massif du Mont Blanc et çe sont des montagnes qui m’ont “émotionnées”. Alors je me suis dit pourquoi ne pas faire tous les 4000 des Alpes pour les découvrir? Un sommet magique, des vues à couper le souffle et l’envie de poser le pied sur chacune des autres cimes…

​Dès le début je suis restée assez discrète sur ce projet, j’avais envie de partir et de le vivre tranquille. Des fois on me demandait « c’est quoi tes projets cette année ? » et je disais que je m’entrainais pour une traversée dans les Alpes en restant vague alors que dans ma tête ça a toujours été très clair. En faisant quelques recherches j’ai vu l’expression “collectionneurs de 4000” ou encore qu’il existait des clubs comme en Allemagne avec plus de 800 membres. J’ai trouvé cela presque intriguant.

Le Partage

Mon idée c’était de partager cela avec des chouettes ami(e)s issus de divers horizons (forts alpinistes, skieurs freeride, parapentistes, etc.) avec qui j’ai déjà vecu de belles choses ou juste parce qu’il y a une connexion spéciale avec ces personnes. Une quinzaine d’amis m’ont donné leurs dates 6 mois à l’avance, et c’est super de partager chaque aventure avec différentes personnes, chacune avec sa fraîcheur et sa motivation.

L’autre idée c’était de commencer en ski parce que le ski c’est fun et plus marrant que de redescendre à pied, puis de passer en mode alpi sur les arrêtes rocheuses et alpi + parapente quand le vent est dans le bon sens et que je suis avec un autre ami qui vole.

« Se déplacer un jour après l’autre au coeur d’énormes glaciers c’est vraiment magique »

Liv arrive au sommet du Jungfrau, au mois d’avril dernier ©Ben Tibbetts/Salomon

Le Style

Dans ce projet il y a l’idée du déplacement et de la découverte. Il me permet de découvrir des nouveaux massifs, des nouvelles montagnes, des nouveaux refuges et m’oblige à bien connaitre les terrains, en particulier les glaciers. C’est un voyage au coeur de magnifiques montagnes et se déplacer un jour après l’autre au coeur d’énormes glaciers c’est vraiment magique.
Avec l’expérience, je ne regarde plus les montagnes pareil. J’ai fait pas mal de glaciers, tu as l’impression que c’est énorme, que tu vas mettre 10 jours pour atteindre le prochain objectif, et en fait c’est juste quelques heures de marche…

Il y a aussi le fait que je ne prend aucune remontées mécaniques dans ce projet. Je pars de Chamonix, Zermatt, Saas Fee ou Fiesch à pied. Ça rajoute une journée d’effort et de portage mais c’est comme cela que je voulais le faire, même si ce n’est pas ultra clean comme l’a fait par exemple Uli Steck avec ses liaisons à vélo…

Enfin il y a le challenge. Je n’ai aucune certitude que je vais arriver à finir. Il y a plein de choses qui peuvent se passer et qui font que je peux ne pas finir ces 82 4000m en un an.

« Je n’ai pas envie d’être une guerrière qui s’attaque à la montagne »

Le timing

D’un autre côté, je ne me donne aucune pression de temps pour ce projet je veux juste profiter de chaque montagne. Si tu vas vite tu n’as pas le temps de digérer ni d’en profiter, tu passes en mode bulldozer et tu t’attaques à chaque montagne l’une après l’autre sans savourer. Je n’ai pas envie d’être une guerrière qui s’attaque à la montagne. Ce n’est pas comme cela que je vois le projet.
Evidemment j’aime bien qu’on aille un peu vite et que l’on enchaine mais c’est important pour moi de prendre le temps de regarder, de sentir une connexion avec là où je suis. Et puis soyons honnêtes, quand tu enchaines trop et beaucoup, tu perds en lucidité et tu te mets en danger.

Il faut aussi comprendre que dans ce projet je suis un peu la chef d’orchestre, je gère pas mal de petites choses avec une vingtaine de personnes concernées. Ce n’est pas juste préparer les itinéraires et réserver un refuge : je dois toujours anticiper avec la météo (j’ai le luxe d’avoir un routeur perso!), anticiper avec le ou la prochaine ami(e) qui va me rejoindre, et puis comme je voudrais faire un film pour partager cette expérience on se rajoute du boulot avec les images…

Comme pour tout il faut trouver un équilibre. Le plus important c’est de garder présent à l’esprit que tout cela doit rester du plaisir avant tout, de le faire avec le sourire et une certaine joie et excitation partagée et qu’à la fin on en soit enrichis et transformés.

L’Accident

J’avoue cette semaine passée j’ai senti que j’étais fatiguée mentalement et j’avais besoin d’un mini break d’un jour ou deux. Mais il y avait une bonne énergie de la part de Giulia Monego et Alex Pittin et puis le cameraman était là et ça devenait difficile de dire « j’ai besoin d’une petite pause » quand bien même physiquement je ne me sentais pas entamée. Du coup on est repartis sur deux gros sommets, la Dent D’hérens et l’Aletschhorn, et je ne suis qu’à moitié étonnée de l’incident dans la crevasse sur l’Aletschhorn.

J’ai mis le pied sur un pont de neige alors que j’étais en train de regarder la face, et je suis passée au travers. Je me suis enfoncée jusqu’à la taille en tapant ma rotule sur la glace. ​J’ai vraiment eu très mal et comme je suis assez résistante à la douleur​ je me suis dit qu’il y avait quand même quelque chose de grave. On a continué jusqu’au sommet mais je ne pouvais presque plus plier ma jambe. Quand on a attaqué la descente à ski je devais skier sur une jambe et je me suis dit que là ça devenait dangereux pour moi et mes compagnons de continuer comme cela. Un mini combat intérieur s’est joué entre appeler l’hélico ou serrer les dents pour rentrer sur une jambe, c’est la sagesse qui l’a emportée. Air Zermatt est venu nous chercher. Une semaine plus tard on a vu à l’écho que j’avais une déchirure musculaire sous le genou en haut du mollet. Je dois donc rester au repos 3 semaines ce qui m’amène vers le 12 Mai. C’est trop dommage parce que je devais partir avec mon amie Lorraine Huber tout juste sacrée championne du monde de Freeride et que l’on ne pourra rien partager ensemble.

La suite

À ce jour j’ai fait 37 sommets, ce qui est très satisfaisant avec 27 jours de beau temps en un mois et demi. Je ne compte pas l’Aletschhorn car je suis redescendue en helico. Je m’étais dit que si j’en faisais 20 par mois c’était génial, et c’est à peu près le rythme, donc c’est génial.

En été ça peut aller beaucoup plus vite selon la météo, et puis dans ce qu’il me reste il y a parfois plusieurs sommets qui se font dans la même journée, comme l’Arête du Diable, ou les Grandes Jorasses. Il peut aussi faire vraiment mauvais sur 2/3 semaines et après il faut encore attendre que les arêtes sèchent et ça peut vite tout décaler d’un mois. C’est vraiment la météo qui va faire que le projet peut être fini relativement vite ou pas. ​ Finir mi-juillet serait super, mais si je dois finir en Octobre je serai aussi heureuse.

J’ai prévu de terminer en beauté par le massif du Mont Blanc car j’habite au pied, et c’est un massif bien à faire en été, avec un final sur le Mont Blanc, le plus haut et le plus symbolique…

À voir, la page dédiée sur le site Salomon avec de belles infographies, et des cartes FatMap en 3D où on peut bien voir ce que Liv a fait avec chaque compagne et compagnon de cordée.

La progression de Liv dans la liste des 82 sommets de plus de 4000m

par ordre chronologique avec ses compagnes/compagnons de cordée

Grand Paradis 4061m avec Colin Haley et Anthony Bonello (caméraman)

Ecrins : Barre des Ecrins (4102m) et Dôme de Neige (4015m) avec Colin Haley et Anthony Bonello

Massif du Mont Rose, avec Colin Haely

Les 3 Breithorn ( Ouest 4164m, central 4159m, Est 4139m ), Gendarme (4106m), Roccia Nera (4075m), Pollux (4092m) et Castor (4223m)

Lyskamm Ouest et Est (4479m et 4527m), Signalkuppe (4554m), Zumsteinspitze (4563m), Parrotspitze (4432m), Ludwigshöle (4341m), Corno Nero (4321m), Pyramide Vincent (4215m) et Punta Giordani (4046m)

Avec Colin Haley et Fred Sansoz (le frère de Liv) Pointe Dufour (4634m) et Nordend (4609m)

Oberland : Avec Marco Bernasocchi sur toute la durée

Monch (4107m) après a voir fait demi tour à la Jungfrau car plaqué, Gross Grünhorn (4044m), Finsteraarhorn (4274m) Sommets fait en plus avec Ben Tibbets (photographe) et Valentine Malaoy Fabre.

Hinter Fiescherhorn (4025m) et Gross Fiescherhorn (4049m), Jungfrau (4158m)

Autour de Saas Fee (Mischabel et Weissmies) : Avec Marco Bernasocchi

Strahlhorn (4190m), Rimpfischhorn (4199m) pui Allalinhorn (4027m), Alphubel (4206m)

Weissmies (4017m) et Lagginhorn (4010m) partagés avec Eliane Volken et Alex Pittin

Grand Combin : avec Giulia Monego, descente à ski de la face Sud du Grand Combin de Valsorey. Grand Combin de Valsorey (4184m), Combin de Grafeneire (4314m) et Combin de la Tsessette (4135m)

Dent d’Hérens (4174m) avec Giulia Monego, Alex Pittin et Anthony Bonello

Aletschhorn (4193m) Avec Giulia Monego et Anthony Bonello. Accident crevasse / blessure genou, secours hélicoptère il faudra revenir…

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Mathieu Ros
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Written by Mathieu Ros

J’écris sur la neige et les montagnes (SkiMag & Snowsurf.com, GQ, Le Figaro, Geo etc.), J’aime la neige très froide, les snowboards et les bains très chauds.

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